La raison d’être de l’entreprise et le statut de société à mission

Les entreprises peuvent désormais intégrer dans leurs statuts « une raison d’être ». Elles ont également la possibilité d’aller plus loin et de se doter d’une « mission », ce qui constitue un considérable pas en avant effectué par le législateur pour permettre au monde des entreprises d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux. Je vous propose un rapide focus sur ces deux nouveaux concepts afin, je l’espère, d’alimenter votre réflexion d’entrepreneur responsable.

La raison d’être de l’entreprise

Même si certaines grandes entreprises avaient déjà adopté depuis quelques années une réflexion de type RSE (responsabilité sociétale et environnementale) au moyen le plus souvent d’une charte ou d’un autre document distinct des statuts, cette nouveauté vient consacrer dans la loi le principe d’une raison d’être statutaire. 

La possibilité d’inscrire dans les statuts d’une l’entreprise une « raison d’être » est désormais expressément prévue pour toutes les sociétés depuis la modification de l’article 1835 du Code civil par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, dite loi PACTE. En vertu de cet article, la raison d’être est « constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». La raison d’être est définie comme le projet de long terme dans lequel s’inscrit l’objet social de l’entreprise. Le gouvernement a ainsi souhaité inciter les entreprises à l’afficher de manière officielle.

Je rappelle que les statuts constituent le contrat venant fixant les rapports entre les associés d’une société, ainsi que ceux de la société à l’égard des tiers. En autorisant les sociétés à intégrer une raison d’être dans leurs statuts, le Code civil ouvre à mon sens la possibilité aux associés de faire peser sur les dirigeants des entreprises des obligations et donc des responsabilités, par exemple sociales et/ou environnementales, en vue du respect de cette raison d’être. 

La méconnaissance par la direction de la clause statutaire relative à la raison d’être constituerait ainsi une violation des statuts de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la société et de ses associés. Il faudra donc veiller à ce que cette raison d’être soit réaliste et réalisable en pratique, afin de ne pas faire peser des responsabilités trop importantes sur la direction de la société dotée d’une telle raison d’être. De la même manière, une raison d’être fantaisiste ou trop générale, voire trop peu contraignante, n’aurait pas l’effet escompté et constituerait plutôt une mesure de communication (voire de « washing »), vide de sens.

La société à mission

Soucieux de favoriser l’émergence d’un capitalisme responsable non centré sur la recherche du seul profit, le législateur a instauré, également par la loi PACTE, aux nouveaux articles L.210-10 à L.210-12 du Code de commerce, un régime offrant aux sociétés ayant préalablement adopté une raison d’être la possibilité d’inscrire une mission dans leurs statuts. 

Certaines conditions devront être remplies pour que la Société puisse prétendre au nouveau régime de société à mission afin de pouvoir en faire publiquement état par une mention en ce sens au registre du commerce et des sociétés  tenu par le greffe du Tribunal de commerce dont elle dépend et donc, a priori, visible sur le K-bis. 

Tout d’abord, les statuts de la société devront naturellement préciser une raison d’être, mais également les objectifs environnementaux que la Société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité (par exemple : la baisse des émissions des gaz à effet de serre). 

Ensuite, les statuts préciseront les modalités du suivi de l’exécution de la ou des missions. Par principe, ce suivi doit être assuré par un comité de mission, distinct des dirigeants et devant comporter au moins un salarié de la société. Ce comité devra présenter chaque année à l’assemblée générale des associés d’approbation des comptes un rapport joint au rapport de gestion, venant rendre compte de ses vérifications et de la réalisation, ou non, de la mission par la direction. Ces mesures de contrôle devraient donner en pratique une véritable force à ce suivi, puisque les dirigeants qui n’auraient pas fait avancer la mission de la société devraient s’expliquer auprès des associés de la société. 

A noter que, par exception, pour les entreprises de moins de 50 salariés, le comité de suivi pourra être remplacé par un référent de mission, si les statuts prévoient cette possibilité. Ce référent pourra être un salarié de la société, ce qui permet de ne pas exclure, de fait, les plus petites sociétés qui n’auraient pas les moyens humains de se doter d’un comité.

Enfin, la réalisation par la société à mission des objectifs sociaux et environnementaux qu’elle se sera fixés devra faire l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant. Cette vérification permettra de mesurer le suivi des mesures prises par la société pour l’accomplissement de sa mission, mais elle impliquera un coût, probablement non négligeable, devant être budgété. La vérification de l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux de la société par l’organisme tiers indépendant devra donner lieu, de la part de celui-ci, à un avis joint au rapport du comité de mission (ou du référent de mission, selon le cas).

L’adoption du statut de société à mission est soumise à des conditions très contraignantes et doit selon moi être motivée par un engagement de recherche d’un impact social ou environnemental très fort de la part des fondateurs. Son principal avantage est que la société concernée peut faire état de cette qualité à l’égard des tiers. Cette mention au greffe devrait d’ailleurs pouvoir en pratique appuyer sa démarche en lui ouvrant certaines portes ou en attirant des financements (des investisseurs par exemple). Il est donc normal que si la société ne joue pas le jeu et qu’en conséquence, soit l’une des conditions mentionnées ci-avant n’est pas ou plus remplie, soit l’avis de l’organisme tiers indépendant conclut qu’un ou plusieurs des objectifs sociaux et environnementaux de la société ne sont pas respectés, celle-ci pourra alors être sanctionnée et se voir obliger de faire retirer la mention « société à mission » de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société.

Sylvain Clavé, Avocat Directeur au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel – Pôles Droit des sociétés et Banque – Finance

Article illustré par Estelle Chambon, Steliegraphie.

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